Tite-Mine et sa mère Georgette |
[…] Tite-Mine resta une semaine dans le coma. On la garda en
observation pendant quelques jours, puis on la laissa rentrer chez elle.
Le lendemain, alors que sa mère pétrissait la pâte à tarte,
Tite-Mine s’accomplit de sa tâche : raconter à sa mère ce qu’elle avait
vécu dans l’au-delà, une mission à laquelle Gumby l’avait contrainte à
accomplir, si elle sortait du coma, saine d’esprit.
–
Ça va
te paraître dingue, maman, mais Gumby m’a obligée à aller à l’école pendant que
j’étais à « l’au-delà ».
–
Gumby,
hein ! Plutôt insolite, comme ange-gardien, non !
–
Je
sais. Ça paraît débile.
–
Cruelle !
Mais bon usage du mot ! Tu es dure avec toi, ma chérie ! Et tes amis…
–
Ils
ne me voyaient pas, maman, l’interrompit Tite-Mine. Je planais au-dessus de
leur tête et au-dessus de celle de ma prof.
–
Et
que vous a-t-elle enseigné, ta prof, à tes amis et à toi ? demanda
Georgette en continuant à pétrir sa pâte à tarte, affichant un air déconcerté.
–
C’est
justement de cela dont je veux te parler, maman. Il s’est passé un incident
dans la classe.
Surprise par ses propos, Georgette redressa la tête et regarda
Tite-Mine.
–
Gédéon
a intimidé Sam en le traitant d’ortho, continua Tite-Mine. Contre toute
attente, Sam s’est retourné et s’est défendu ; Gédéon prenait place
derrière le pupitre placé derrière le sien. La prof l’a laissé faire. Il faut
dire que Sam tenait des propos surprenants :
« Imagine que l’on se trouve aux États-Unis et que l’on soit
en 1945, Gédéon. Tu viens de faire une crise d’épilepsie, et l’on t’a conduit à
l’hôpital où l’on s’apprête à t’opérer.
Plusieurs heures plus tard, tu ouvres les yeux à la salle de
réveil, mais tu n’es plus toi. Tu n’es plus toi parce que l’on t’a fait une lobotomie.
C’est ce qu’on faisait aux gens souffrant de crises d’épilepsie à cette époque.
C’est aussi le même sort qu’on réservait aux gens souffrant de schizophrénie.
Même chose pour les personnes aux prises avec des maux de tête chroniques.
50 000 personnes ont connu ce sort aux États-Unis dans les années quarante
parce que c’est le consensus qu’avait consenti le corps médical dans ces
années-là. »
« C’est quoi un consensus ? » osa demander Gédéon.
« Un consensus, c’est la vérité du moment – dans le
sens époque, celle à laquelle adhère
une population, un accord dont tout le monde consent et auquel il accepte de se
plier. Autrement dit, si, à partir d’aujourd’hui, au Québec, l’on autorisait la
pratique de la lobotomie sur les personnes souffrant d’épilepsie, parce que
l’on juge que c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour ces personnes, tout individu
aux prises avec cette maladie nerveuse risquerait de subir une lobotomie. Je ne
donnerais pas cher de ton cerveau, mon vieux ! Donc, pour établir un consensus, il faut compter du temps. C’est d’ailleurs ce qui
est en train de se passer sur le TDA(H) dans le monde. On cherche à établir un
consensus : est-ce une maladie, une déficience, une malformation, une
condition neurologique particulière ? Est-ce le cerveau d’une personne qui
apprend différemment la matière, une ‘’ Formule 1 mentale ‘’ ?
Personnellement, j’adhère à cette dernière version. Mais, ici, à l’école, pour
la majorité des élèves, un TDA(H), c’est un ortho. Quelqu’un qui manque
d’intelligence. Un cave, quoi !
« Sam ! », a alors lancé l’enseignante en lui
jetant un regard furibond.
« Désolée, madame la professeure ! Je voulais dire un élève sot.
Le
problème dans tout ça est que, lorsqu’on est victime d’un
consensus inacceptable, il est difficile de s’en sortir, car l’on est pris dans
l’engrenage du consensus. Prends Einstein, par exemple : alors qu’il
n’avait que 15 ans, on le dépeignait comme un élève étourdi qui éprouvait des
difficultés à s’exprimer, lesquelles seraient dues à une dyslexie. La goutte
qui a fait déborder le vase, c’est l’indiscipline d’Einstein. Einstein n’arrivait
pas à se discipliner. Comme résultat, son professeur de grec, le jugeant
incapable de suivre les règlements scolaires, l’a fait expulser de l’école.
En
somme, les membres de la direction de l’école ont établi un consensus sur
Einstein : ils en sont venus à un accord, soit qu’il était incontrôlable.
Par conséquent, ils ont expulsé Einstein de l’école pour le bien des autres
élèves. »
– Je ne voudrais pas péter ta bulle, ma
chérie, mais j’aimerais savoir où tu veux en venir, l’interrompit Georgette.
– J’y viens, maman !
À suivre !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire