mardi 8 mars 2016

L’ON NE SE VERRA JAMAIS PLUS !


 Une atmosphère indescriptible régnait dans la maison ce matin. Quelque chose d’exceptionnel était sur le point de se produire : en cette fin d’après-midi du 8 mars 2016, ma vie allait prendre un nouveau tournant. J’avais, en fait, un rendez-vous à 15 h 30. Un rendez-vous «exceptionnel».

 En entrant dans le bâtiment où avait lieu ce rendez-vous, je me disais que c’était mon jour de chance. Je me disais que la bonne fortune me souriait aujourd’hui. Je suis alors allée m’annoncer à la réceptionniste et suis ensuite allée m’asseoir dans la salle d’attente. Les minutes me paraissaient des heures et les secondes semblaient ramper sur moi comme des vers. Dans l’attente fiévreuse qu’on m’appelle, je regardais les arbres, à l’extérieur, par l’immense vitre tapissant la partie avant du bâtiment, et me disais que j’étais privilégiée. Au bout d’un moment, l’on a prononcé mon nom.

 Je me suis donc levée et ai pris la direction du bureau où l’on m’attendait dans la hâte. En m’y rendant, soudain, j’ai senti mes jambes molles, comme si elles avaient pu se transformer en guenille. Et mon cœur, je le sentais battre à tout rompre. J’ai eu l’impression qu’il allait me sortir par la gorge. Mais je devais ne rien laisser paraître.

 En entrant dans la pièce, l’homme qui se trouvait là et que j’ai rencontré dans ce même bureau, l’an dernier, tout comme les quatre années précédentes, m’a accueillie, en me regardant, ses yeux bleu océan affichant un air joyeux. Nous avons alors fait ce qui était prévu de faire, puis il m’a annoncé la nouvelle : « Madame Rossignol, je ferme votre dossier. C’est la dernière fois qu’on se voit. » Je l’ai remercié et suis ensuite sortie de son bureau. Je n’ai rien laissé paraître. J’ai retenu mes larmes.

 Au retour à la maison, il y avait du trafic. Un trafic solide. Mais ce n’était pas grave. « Plus rien n’est grave », me suis-je dit. Je me suis donc laissé aller : j’ai laissé couler mes larmes. Mais des larmes de joie. « Je suis enfin libre », ai-je pensé.  

 Ce moment, je l’ai attendu depuis près cinq ans. Les mots qu’a prononcés cet homme m’ont résonné à l’oreille comme un billet de loterie gagnant : « C’est la dernière fois qu’on se voit ! »  À l’intérieur de moi, je me disais ceci : « L’on ne se verra jamais plus, docteur. » Et en sortant du centre d’oncologie, je me suis retournée et ai regardé le bâtiment, en prononçant ces mots : « L’on ne se verra jamais plus, docteur : j’ai rendez-vous avec la vie. Merci. »

J’ai vraiment beaucoup de chance d’avoir remporté le gros lot, d’être en vie et en santé.

Si vous avez le privilège d’avoir des enfants, une femme, un mari, embrassez-les, en entrant, ce soir, à la maison. Faites-le, parce que la vie, c’est le gros lot. L’amour des siens, c’est le gros lot. 

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