Une atmosphère indescriptible régnait
dans la maison ce matin. Quelque chose d’exceptionnel était sur le point de se
produire : en cette fin d’après-midi du 8 mars 2016, ma vie allait prendre
un nouveau tournant. J’avais, en fait, un rendez-vous à 15 h 30. Un rendez-vous
«exceptionnel».
En entrant dans le bâtiment où
avait lieu ce rendez-vous, je me disais que c’était mon jour de
chance. Je me disais que la bonne fortune me souriait aujourd’hui. Je suis
alors allée m’annoncer à la réceptionniste et suis ensuite allée m’asseoir dans
la salle d’attente. Les minutes me paraissaient des heures et les secondes
semblaient ramper sur moi comme des vers. Dans l’attente fiévreuse qu’on m’appelle,
je regardais les arbres, à l’extérieur, par l’immense vitre tapissant la partie
avant du bâtiment, et me disais que j’étais privilégiée. Au bout d’un moment, l’on
a prononcé mon nom.
Je me suis donc levée et ai pris
la direction du bureau où l’on m’attendait dans la hâte. En m’y rendant, soudain,
j’ai senti mes jambes molles, comme si elles avaient pu se transformer en
guenille. Et mon cœur, je le sentais battre à tout rompre. J’ai eu l’impression
qu’il allait me sortir par la gorge. Mais je devais ne rien laisser paraître.
En entrant dans la pièce, l’homme
qui se trouvait là et que j’ai rencontré dans ce même bureau, l’an dernier,
tout comme les quatre années précédentes, m’a accueillie, en me regardant,
ses yeux bleu océan affichant un air joyeux. Nous avons alors fait ce qui était
prévu de faire, puis il m’a annoncé la nouvelle : « Madame Rossignol, je
ferme votre dossier. C’est la dernière fois qu’on se voit. » Je l’ai remercié
et suis ensuite sortie de son bureau. Je n’ai rien laissé paraître. J’ai retenu
mes larmes.
Au retour à la maison, il y avait
du trafic. Un trafic solide. Mais ce n’était pas grave. « Plus rien n’est grave
», me suis-je dit. Je me suis donc laissé aller : j’ai laissé couler mes
larmes. Mais des larmes de joie. « Je suis enfin libre », ai-je
pensé.
Ce moment, je l’ai attendu depuis
près cinq ans. Les mots qu’a prononcés cet homme m’ont résonné à l’oreille
comme un billet de loterie gagnant : « C’est la dernière fois qu’on se
voit ! » À l’intérieur de moi, je me
disais ceci : « L’on ne se verra jamais plus, docteur. » Et en
sortant du centre d’oncologie, je me suis retournée et ai regardé le bâtiment,
en prononçant ces mots : « L’on ne se verra jamais plus, docteur : j’ai rendez-vous avec la vie. Merci. »
J’ai vraiment beaucoup de chance
d’avoir remporté le gros lot, d’être en vie et en santé.
Si vous avez le privilège d’avoir
des enfants, une femme, un mari, embrassez-les, en entrant, ce soir, à la
maison. Faites-le, parce que la vie, c’est le gros lot. L’amour des siens, c’est
le gros lot.
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